HONI – une critique du blog Humans of New York

Quelques faits

HONI (Humains de New York) est un blog créé par un photographe amateur en 2010. Il prend environ 3 photos par jour, ajoute une légende à partir d’une anecdote sur la personne représentée et les mets ensuite sur son blog, sa page Facebook, son Tumblr, son  Twitter et son compte Instagram. Le 18 janvier 2015 il avait 11 760 000 followers (personnes qui le suivent) sur Facebook et le lendemain 20 000 de plus. Il a sorti 2 best-sellers rassemblant ces photos, HONI et Little HONI (centré sur les portraits d’enfants). Il a également lancé plusieurs opérations de levées de fonds et a effectué un voyage en Iran et plus tard un tour du monde sous la bannière des Nations Unies dans le cadre des objectifs du Millénaire.

HONI 2 - Copie

“Humain, trop humain”

Nous aimons tous les histoires. HONI ré-enchante le monde en donnant un visage à des problèmes de société. Mais c’est une chose d’être diverti par un trait d’esprit sous une photo, c’en est une autre d’être ému par l’histoire tragique d’un inconnu. En effet, le dernier cas déclenche quelque chose par trop humain, le voyeurisme.

Par ailleurs HONI défend le concept d’humanité en insistant sur le fait que nous avons tant en commun. On aime le site parce qu’à travers ces photos on réaffirme des valeurs positives comme la tolérance et la sensibilité envers autrui. Cela fait nous sentir bien et par là même constitue un coup de pouce à notre estime de nous-mêmes. Rien à redire à cela, c’est même plutôt positif de réaffirmer de telles valeurs. Toutefois j’ai le sentiment que cela révèle aussi quelque chose de symptomatique de l’époque des réseaux sociaux, où tout tourne autour de l’image et des brefs moments de gloire. Désormais il est plus aisé pour Brandon Stanton d’approcher des gens dans la rue vu qu’ils savent qu’ils seront célèbre pour un temps sur HONI et qu’ils récolteront des milliers de “likes”. De plus ce phénomène a provoqué des campagnes de pub involontaires en faveur de certains artistes comme le mentionne The Independent (article en anglais).

“Retenus à la surface”

Ce qu’HONI nous montre c’est que nous sommes tous pareils, qu’indépendamment de nos origines nous sommes tous des êtres humains. Cette idée de communion dans ce qui nous réunit est assez similaire à l’approche de Yann Arthus Bertrand parti collectionner des portraits filmés à travers le monde.

Très bien, mais cela écarte toute complexité. Derrière ces histoires il y a un contexte sociologique et historique que l’on ne retrouve nul part sur le blog. Nous regardons une société, ici New York, par le petit bout de la lorgnette. Je partage l’opinion de Melyssa Smyth (sa critique en anglais est très intéressante : la voici) quand elle cite le philosophe français Roland Barthes:

“Tout ici [dans l’exposition The Family of Man], contenu et photogénie des images, discours qui les justifie, vise à supprimer le poids déterminant de l’Histoire, nous sommes retenus à la surface d’une identité, empêchés par la sentimentalité même de pénétrer dans cette zone ultérieure des conduites humaines, là où l’aliénation historique introduit de ces « différences » que nous appellerons tout simplement ici des « injustices ».”

Cette absence de contexte est d’autant plus préjudiciable quand les photos sont prises dans des pays comme l’Iran ou lors de catastrophe naturel comme l’ouragan Sandy. Brandon Stanton s’y est rendu afin d’offrir une autre perspective, complémentaire à celle des journalistes. Il s’agit de garder à l’esprit que ce n’est qu’une vision partielle de ces problèmes, que cela n’a rien à voir avec le travail d’un journaliste qui doit présenter les faits et vérifier ses sources, et non juste se fonder sur des on-dit. Avoir la possibilité d’entendre les voix des gens est un progrès que nous ont apporté les réseaux sociaux… néanmoins il faut mettre en perspective ces récits et ne pas se laisser submerger par cette cacophonie de voix.

HONI 2

En quête de sens

Je n’écris pas à des fins de créer une polémique. J’ai d’abord adoré HONI, puis je me suis lassée et enfin la teneur des histoires a commencée à me mettre mal à l’aise. Je rentrais dans l’intimité des gens sans le filtre du journaliste, du romancier ou du réalisateur de films, fiction ou documentaire. Auparavant c’était amusant de découvrir ces histoires courtes chaque jour, vite lu et anecdotique. A la manière d’un omnibus (ces bus dont on monte ou descend en marche), le lecteur s’embarque dans la lecture de quelques portraits avant de passer à autre chose. La proximité avec la personne provoque une émotion immédiate et brève, vite on est passé au portrait suivant.

Mais quel est le sens d’une telle accumulation de récits individuels ? Quel est la portée pour le collectif ? En se claquemurant dans la neutralité, Brandon Stanton refuse de donner un sens à cette démarche et de fait les individus se noient à nouveau dans la masse.

Bonus :

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