4 mars – 7ème épisode

Trois coups sont frappés à la porte, après de vains essais sur le code d’accès. Louis se lève ouvrir la porte à Simon dont les yeux sont cernés de violet. Sa fatigue apparente ne lui a pas fait négliger son style vestimentaire coloré. Sa chemise, ornée de plaques de rue parisiennes, est impeccablement repassée. Simon est chimiste, spécialiste des perturbateurs d’origine industrielle et l’auteur d’un papier publié dans l’une des plus prestigieuses revues internationales prouvant le lien entre la présence du E713B dans la moutarde et l’allergie à la pistache. Il était rentré dans l’équipe Oculus le lendemain du coup de fil de Mathias. Alix et Simon avaient fait leur première année de médecine ensemble où ils étaient devenus inséparables. Simon l’avait aidée en réfléchissant par rebond d’une tête à l’autre à circonscrire son enquête.

– Si on cherche une modification à l’échelle de toute la population française, il faut que la voie de contamination soit commune à l’ensemble des Français. Donc on doit exclure l’alimentation dans un premier temps, elle varie trop d’une personne à l’autre. Par contre on peut regarder dans l’eau, avait tout de suite démarré Simon. Bon j’attaque par cette hypothèse ? Et après je regarde l’air ?

– Super, va jouer au chimiste, tu t’y connais mieux que moi sur le sujet. Dès que tu as du nouveau, tu m’appelles. De toute façon la notion de weekend a disparu pour moi ces derniers temps…

– Jouer au chimiste, on aura tout entendu, avait soupiré Simon, feignant l’outrage.

Simon s’écroule sur un tabouret face au panneau en liège. La géographie des croix rouges l’inquiète pour la santé mentale de son amie. Dire qu’il va devoir lui en rajouter une. Il a accepté de faire partie de l’équipe autant pour son expertise que pour son amitié pour Alix. Celle-ci avait besoin de se sentir portée par quelque chose de plus grand qu’elle, de sentir l’adrénaline dans ses veines. Syndrome classique de Wonder Woman, avait-il diagnostiqué dès leur première rencontre.

– Merci Louis, je ne m’y ferai pas à cette porte sécurisée, j’ai l’impression de rentrer dans Fort Knox ! s’exclame-t-il.

– Oui, ça me fait pareil, avoue Alix. Alors ? Du nouveau ?

Assise sur une chaise à roulettes, elle s’écarte d’un coup de pied de la table en rechaussant ses lunettes. Elle vient de les sortir de son tout nouveau bain à ultrasons et elles sont redevenues transparentes, à sa grande satisfaction. Pas question de renoncer à ce genre de petites joies malgré la période pour le moins agitée.

– Malheureusement oui… ou non, ça dépend. Je n’ai rien trouvé, et pourtant vu le défi je me suis décarcassé ! J’ai été jusqu’à aller tester l’eau des centrales d’épuration ! Mais rien dans l’eau du robinet, rien de particulier dans l’eau en bouteille. Je me suis même déplacé pour tester l’eau dans plusieurs villes. Rien.

– Tu n’as pas expliqué pourquoi tu faisais ces tests ?

– Non, bien sûr. La carte du scientifique avec une idée farfelue en tête marche toujours, et je ne m’en prive pas. Je crois que mes interlocuteurs en ont conçu une certaine sympathie à mon égard, surtout que je me baladais avec une de mes chemises…

– Celle avec les molécules d’eau ?

– Oh, tu me connais si bien !

– Et oui ! Bon, donc encore une hypothèse qui tombe à l’eau…

– C’est le cas de le dire !

Le téléphone portable d’Alix sonne sur la paillasse du laboratoire. C’est un numéro privé. Alix répond sans entrain. Il s’agit de Mathias, celui-ci se croyant dans un film d’espionnage a décidé de ne plus laisser de trace et ne l’appelle plus qu’en numéro masqué. Simon adore se moquer de Mathias, lui reprochant de se prendre trop au sérieux. Il l’a surnommé « le gendre idéal », beau parti et sérieux.

– Oui Mathias ?

– Allume ta télévision, ordonne Mathias.

– Il n’y en a pas dans le labo.

– Ah mince. Eh bien, regarde le direct sur ton ordinateur. Sur la 2.

– D’accord, pas besoin d’être aussi sec…

Alix pose son téléphone et déclenche le haut-parleur. Elle ouvre une nouvelle page sur son ordinateur et tombe sur un flash info. Un certain Julien Corbale explique à grand renfort d’infographies qu’une crise sanitaire est en cours et que le gouvernement l’a cachée à la population. Il parle du 16 janvier comme du Jour du Grand Flou, une date qui marquera l’Histoire avec un grand H. Les médias ont enfin réagi, se dit Alix. Ce temps de latence est étrange de la part d’une profession entrainée à dénicher les scandales, à faire preuve de clairvoyance. Ils étaient sans doute en plein déni, impossible pour eux d’envisager le monde autrement que par la vue. Que feront les journalistes, les photographes et les caméramen dans un monde flou, qui se dérobe à l’observation ?

– Aïe, murmure Alix.

– Tu vois d’où vient mon irritation maintenant ? Qui a fuité ? Le Premier Ministre est furieux. Tout ça en plein milieu de la réforme de l’assurance santé !

– Et tu cherches la tête à faire tomber, sinon c’est la tienne qui roule ? Le bouc émissaire qui dédouane le gouvernement ?

– Non mais c’est étrange tout de même, nous ne sommes qu’une poignée à être au courant.

– Tu ne penses pas que ce Julien Corbale a pu arriver à la même conclusion que toi et moi sans information top secrète ? Sans taupe ? Enfin, il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre que quelque chose cloche !

Un silence suit la remarque d’Alix. C’est confirmé, il n’écoute pas les humoristes le matin à la radio. Mathias cherche une explication simple pour le grand public et semble déçu que le scénario du traitre ou de l’indiscret ne s’impose pas.

– Il va juste falloir que le Premier Ministre explique en toute transparence que le gouvernement a souhaité ne pas inquiéter la population tant que la crise n’était pas avérée scientifiquement, poursuit Alix.

– Tu me donnes des leçons de discours politique maintenant ? rétorque Mathias, narquois.

– Ce n’est pas parce que je suis scientifique que je vis hors du monde. C’est fini l’image du scientifique coupé de la réalité, enfermé dans son laboratoire. D’ailleurs, maintenant que l’affaire est ébruitée, est-ce que tu pourrais envoyer quelqu’un enlever le code sur ma porte ? Une bonne vieille clef suffisait amplement.

– Si tu insistes. On annoncera la création du Comité Scientifique.

– Ah de l’air ! On va enfin sortir du placard.

– Il faudra que tu fasses une intervention télévisée en tant qu’interlocutrice scientifique du gouvernement.

– Oublie, je n’ai pas le temps, et puis c’est pas mon truc. Demande au Directeur de l’Institut, c’est lui qui décide de ce genre de relations publiques.

– Bien. Je vais aller faire des recherches sur ce Julien Corbale.

Et comme d’habitude il raccroche sans formalité. Alix souffle. Elle se tourne vers Simon, faussement absorbé dans l’étude de son nouveau microscope électronique. Elle le regarde en souriant.

– Allez, vas-y, que la salve de remarques ironiques démarre.

– Non, non même pas. Bien mouché. C’est tout. Sinon, vu que tu n’es plus en quarantaine du reste du laboratoire, je pourrai venir l’utiliser ? demande Simon en tapotant le sommet de l’appareil.

– Euh oui, sans doute, tu veux voir des gouttes d’eau de très, très près ?

– Ah. Ah. Hilarant. Qui fait dans l’ironie maintenant ?

– Tu déteins ! Allez, j’y retourne. On se voit au déjeuner ?

– Oui, je te laisse les résultats là, dit Simon en posant une liasse de papier sur le bureau avant de sortir. Salut Elif, salut Louis, ne la laissez pas sans thé, sinon elle va s’effondrer !

– Merci pour ton aide !

Bonus :

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