30 mars – 13ème épisode

Alix se lève d’un bond au son du réveil, elle a trouvé plusieurs pistes. Elle teste ses nouvelles théories aujourd’hui. Elle repousse du coude la pile de livres de physique de vulgarisation, qu’elle soit classique, quantique ou astro. Les livres s’éparpillent sur le lit. Celui qui détaille les concepts de la physique quantique reste en suspens sur le bord du matelas, dessus et dehors.

Alix a réintégré le Comité d’éthique dès le lendemain du message de Mathias. Amine a senti qu’elle avait la tête ailleurs, les pensées encore prises par son enquête. Il lui a proposé de finir ce qu’elle avait à faire avant de se plonger à temps plein et à tête concentrée dans ses nouvelles fonctions. Il sait qu’une autre équipe dans un autre hôpital a pris le relais, mais il ne lui en pas fait part. Les médias s’en chargeront. Il a bien compris que la recherche d’Alix devenait métaphysique et n’était plus du ressort d’un Comité scientifique.

Le vélo d’Alix est resté garé en bas de chez elle cette semaine. Elle lui a préféré la marche à pied. Elle a ralenti le rythme pour éviter les collisions mais avec de l’entrainement elle n’a plus besoin de se concentrer autant qu’au début.

Dans la rue règne une certaine confusion. Les piétons concentrés cherchent à tâtons leur prochain pas. De grandes lignes de couleurs ornées tous les mètres d’une tête de flèche ont été tracées par la Mairie sur le sol la semaine dernière pour éviter les collisions. Vert pour aller d’Ouest en Est, bleu pour aller d’Est en Ouest, Jaune pour aller du Nord au Sud et Rouge pour aller du Sud au Nord. Comme Paris n’est pas tracé sur un damier orthogonal, certaines lignes sont doublées, ainsi une double ligne verte et rouge indiquera que la rue va vers le Nord-Est. Ce nouveau code piéton n’est pas encore intégré dans les mœurs et cela occasionne de grandes discussions entre passants pour savoir où tourner.

Aucun véhicule à moteur n’a le droit de cité depuis le décret de l’avant-veille. Les voitures ont été bannies du centre-ville en urgence pour limiter le risque d’accident qui depuis le début de la crise a déjà envoyé des centaines de personnes aux Urgences. Seuls les véhicules équipés de contrôle de vitesse et de distance automatique ont une dérogation pour circuler sur les axes autoroutiers. La bande sonore de la ville se résume aux seules sirènes des ambulances.

*

Alix a rendez-vous à l’université avec un spécialiste en astrophysique, le Professeur Yves Tabin. Elle a une hypothèse à lui soumettre et il a été suffisamment intrigué par son mail pour accepter de la rencontrer. Ils doivent se retrouver dans la cafétéria de l’Université. Alix commande un thé et s’installe à une table ronde et rouge dans la cafétéria encore déserte à cette heure de la matinée. Un homme vêtu d’une veste et d’un gilet, auréolé d’un halo de cheveux blancs s’approche à grandes enjambées. Il semble connaître les lieux par cœur.

– Alix, bonjour ! Yves, se présente-t-il en lui tendant la main.

– Bonjour monsieur.

– Yves, voyons. Alors, qu’est-ce qui amène une spécialiste de l’œil à tourner son regard vers l’espace ?

Alix lui explique ces derniers mois au sein de la mission Oculus et comment elle s’est trouvée impliquée dans le Grand Flou. Yves l’écoute avec une attention soutenue.

– Je me suis aperçue au fil des tests que j’ai pu réaliser sur des volontaires, que leurs yeux ne souffraient d’aucune nouvelle pathologie, du moins d’aucune maladie que nous puissions détecter. S’ils avaient auparavant de la cataracte par exemple, leurs symptômes n’avaient pas évolué depuis le 16 janvier. Je me suis aperçue que leur œil n’était tout simplement plus en mesure d’accommoder, l’image ne venait jamais se fixer au bon endroit. Ce n’était pas lié à une partie de l’œil en particulier. C’était plus comme un dérèglement généralisé. Et l’image qui se fixait sur la rétine était toujours floue.

– Mais comment est-ce possible ?

– Je ne sais pas, en tout cas la biologie n’apporte pas de réponse en l’état actuel de nos connaissances scientifiques.

– Alors vous vous tournez vers d’autres disciplines… compléta Yves.

– Tout à fait. J’ai relu mes cours de physique et j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver sur le sujet.

– Quelle est votre hypothèse ?

– Et si le monde était devenu flou ? Alix laisse l’idée planer entre eux deux en espérant qu’elle trouvera une résonnance chez le chercheur.

– Ah c’est une hypothèse intéressante, oui, intéressante. Hum, il faudrait y réfléchir.

Alix est soulagée, Yves ne lui a pas opposé un refus.  Elle poursuit, encouragée par les yeux brillants de curiosité d’Yves.

– Donc ce ne sont pas nos yeux le problème, mais le monde lui-même. Le monde est flou et nos yeux ne peuvent accommoder pour le voir de façon nette. Comme si le monde cherchait à nous échapper. La question change entièrement. Comment le monde pourrait être devenu flou ? Je me suis d’abord demandé s’il était possible que la densité de l’air ait été modifiée, provoquant une modification de ses propriétés qui entrainerait un blocage à la propagation de la lumière. J’ai cherché à voir les causes possibles, comme l’altitude, le trou de la couche d’ozone, …

– Et vous avez été voir du côté du soleil, poursuit Yves.

– Oui.

– Et vous n’avez pas trouvé.

– Non, car je n’ai pas les cadres de pensée pour savoir où chercher.

– Alix, connaissez-vous les ondes gravitationnelles ?

– Je les ai rencontrées dans mes recherches.

– Les ondes gravitationnelles sont le symptôme de la rencontre de deux corps, deux trous noirs, qui génèrent alors une puissance comparable à la puissance de toutes les étoiles de l’univers observable ! La collision de ces deux corps génère une perturbation telle dans leur environnement, qu’en résulte une déformation de notre espace-temps. On pourrait donc imaginer qu’une collision plus importante ait eu lieu et ait ainsi créé une perturbation plus longue, qui trouble jusqu’à notre œil.

– Oui c’est ce genre d’explication que je cherchais.

– Malheureusement je ne vais pas pouvoir, comme vous vous en doutez, confirmer ou infirmer cette hypothèse tout de suite. Il faudrait pouvoir rassembler une équipe et concevoir un dispositif expérimental et enfin avoir une deuxième équipe de chercheurs dont le travail confirme celui du premier groupe. Et je crains que cela prenne des années. La science ne peut plus vous aider à ce stade Alix.

– Oui je comprends, c’est un peu ce que j’avais en tête. Mais… l’idée ne vous semble pas farfelue ?

– Pas plus que la théorie de la relativité générale ne l’était, dit en souriant Yves.

– Donc il y a un espoir.

– En attendant, il faudra trouver des solutions pour s’en accommoder.

Bonus :

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